Le praticien narratif, l'art de faciliter sans imposer

Pierre Duray

Pierre Duray

Addictions, Ados, Adultes, Burnout, stress et harcèlement, Qualité de vie, Trauma, Sport et (re)mise en mouvement

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" Je vois ma propre pratique comme un apprentissage sans fin, et je sais que je parviendrai jamais à un stade où je me sentirai pleinement satisfait de ma contribution à la création de conversations thérapeutiques efficaces. [...] Il s'agit plutôt de conserver une réflexion en perspective par rapport à ma pratique thérapeutique. ", Michael White.

Ma rencontre avec l’approche narrative fut un véritable tournant dans ma pratique thérapeutique. Formé initialement à l’hypnose, où l’influence subtile du praticien guide les processus internes de la personne, j’ai découvert avec l’approche narrative une posture différente : celle du praticien décentré et influent autrement. Cette manière d’accompagner m’a interpellé, car elle déconstruit la figure du thérapeute expert pour lui préférer un facilitateur de récits, un passeur d’histoires.

Être praticien narratif, c’est adopter une posture qui met l’accompagné au centre de son propre savoir. Il est le véritable expert de sa vie, et notre rôle consiste à l’aider à se reconnecter à ses propres ressources narratives. Là où l’hypnose travaille sur des états de conscience modifiés pour permettre une reconfiguration des perceptions, l’approche narrative s’appuie sur la puissance du langage et du récit pour remodeler l’identité de la personne en souffrance.

Prenons un exemple concret : une personne qui se perçoit comme "incapable de surmonter ses épreuves" peut être enfermée dans un récit dominant marqué par l’échec et la fatalité. En hypnose, nous pourrions travailler sur une visualisation où elle expérimente un sentiment de réussite et d’autonomie. En approche narrative, nous explorerons les moments où, malgré les difficultés, elle a fait preuve de résilience, même sans en avoir conscience. Grâce aux questions du praticien, l’accompagné commence à externaliser son problème : "L’échec me suit partout" devient "L’échec essaie de m’envahir, mais parfois je l’ai contourné". Ce glissement sémantique permet une réappropriation identitaire.

L’externalisation est une spécificité puissante de l’approche narrative. Elle consiste à considérer le problème comme extérieur à la personne, créant ainsi une distance salutaire. En hypnose, nous mobilisons également cette distanciation, souvent par le biais de métaphores ou de dissociation sensorielle. Cependant, en approche narrative, cette externalisation passe par le dialogue et la reformulation active, tandis qu’en hypnose, elle peut émerger d’un état de transe plus introspectif.

Un jour, une femme que j’accompagnais me confiait se sentir "éteinte, vidée de toute énergie". Plutôt que d’accueillir cette affirmation comme un simple fait, je lui ai demandé : "Si cette sensation était une présence, comment la décririez-vous ?" Après un moment de réflexion, elle répondit : "C’est comme une ombre qui me suit partout". En rendant ce ressenti concret et extérieur, nous avons pu dialoguer avec cette "ombre", comprendre ses messages et, peu à peu, redonner de la place aux lumières oubliées de son histoire.

Les métaphores jouent ici un rôle essentiel. En hypnose, elles servent à contourner les résistances du mental conscient et à ancrer de nouvelles représentations dans l’inconscient. En approche narrative, elles permettent d’explorer des récits alternatifs, en introduisant des symboles qui parlent directement à l’expérience vécue. Elles deviennent des ponts entre ce qui a été et ce qui pourrait être.

Une autre particularité de l’approche narrative est l’appel aux témoins extérieurs. Dans ce cadre, il ne s’agit pas uniquement d’un travail intérieur, mais aussi d’une mise en relation avec des personnes significatives capables de refléter et de renforcer la nouvelle histoire qui émerge. Qui sont ces témoins ? Cela peut être des proches bienveillants, d’anciens mentors, ou même des figures imaginaires convoquées pour valider et solidifier le récit en transformation. Ce processus trouve son écho en hypnose dans certaines techniques de recadrage avec des figures ressources, mais en approche narrative, l’implication consciente du témoin rend la démarche plus ancrée dans le monde relationnel.

Cette posture du praticien narratif a profondément transformé ma manière d’accompagner. Si l’hypnose et l’approche narrative partagent une volonté commune de modifier les perceptions et de libérer les individus des récits limitants, elles le font par des chemins différents. L’une utilise les états modifiés de conscience pour induire un changement interne, l’autre s’appuie sur le dialogue et l’exploration narrative pour permettre une réécriture consciente de l’histoire de soi.

En définitive, cette posture décentrée et influente me garde au plus près de mes aspirations d’accompagnant : être un passeur de récits, un témoin du potentiel des personnes à transformer leur propre réalité, sans jamais leur imposer une vérité extérieure.

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